Marjolaine St-Jules : une vie dédiée à l’inclusion
Portrait de la lauréate du Prix Bien-Être Janette Bertrand 2025
Le 13 novembre 2025, lors de la grande soirée TAM-TAM DON, un moment de grâce a traversé l’Elizabeth Ballroom du Mount Stephen. Sous les applaudissements, Marjolaine St-Jules, travailleuse sociale de formation, cofondatrice de Rêvanous et figure incontournable de l’inclusion au Québec, a reçu le Prix Bien-Être Janette Bertrand 2025 des mains de Madame Bertrand elle-même, accompagnée de Marie-Claude Barrette, présidente du jury, et de Julie Bélanger, porte-parole de Tel-Aide Montréal.
Pour cette deuxième édition du prix — la première ayant honoré Janette Bertrand en 2024 — le choix du jury semblait résonner comme une évidence : célébrer une femme qui, depuis plus de 23 ans, transforme le quotidien et l’avenir des adultes vivant avec une déficience intellectuelle légère (DIL) ou un trouble du spectre de l’autisme (TSA).
Une femme de cœur.
Une femme d’action.
Une femme qui construit du bien-être et de la dignité, une personne à la fois.
Une vie tissée d’écoute, de résilience et d’intuition maternelle
À 79 ans, Marjolaine se présente simplement : une mère de deux enfants dont elle est profondément fière. Son fils, bien établi, mène une vie remplie. Sa fille, aujourd’hui âgée de 40 ans, vit avec une déficience intellectuelle légère et de l’autisme. Elle travaille à la Friperie Renaissance, sur un plateau du CRDI, et habite depuis 2020 un appartement autonome avec soutien, aux Habitations Rêvanous.
C’est autour de cette trajectoire maternelle que s’est construite sa mission.
Elle le dit sans détour :
« Ma fille est le centre de ma vie. »
Marjolaine a consacré des décennies à l’accompagner, à comprendre ses besoins, à imaginer des solutions lorsqu’il n’y en avait pas, à bâtir un environnement où elle pourrait devenir autonome « à la mesure de ses capacités ».
De l’inquiétude à l’action : la naissance d’une vision
Comme beaucoup de parents d’adultes ayant une déficience intellectuelle, une question revient sans cesse :
«Que deviendra mon enfant quand je ne serai plus là? »
Cette inquiétude, combinée à la détérioration des services publics liée aux réorganisations du réseau, a poussé Marjolaine à agir.
En 2002, après une conférence marquante sur l’autonomie en logement, elle se joint à un groupe de parents décidés à créer des solutions durables. Ensemble, ils fondent un OBNL — Rêvanous — officialisé en 2004. Ils négocient des ententes avec l’OMHM pour réserver des studios à des adultes DIL/TSA, puis développent des ateliers d’autonomie résidentielle, co-animés par un éducateur et un parent, une méthode novatrice qui deviendra la signature de l’organisme.
Elle anime ces ateliers pendant neuf ans. Sa fille les suivra, ainsi que ceux de l’Archipel de l’Avenir, un autre organisme qu’elle contribue à faire grandir.
Devant l’ampleur des besoins, une vision plus grande s’impose : créer un véritable milieu de vie inclusif, durable, sécurisant. Avec le GRT Bâtir son Quartier, Rêvanous conceptualise et construit les Habitations Rêvanous, selon les règles d’Accès Logis. Un projet de logements novateurs, adaptés, avec mixité sociale.
Les locataires emménagent en 2015. En 2020, la fille de Marjolaine est enfin prête à franchir ce pas tant espéré.
Recevoir le Prix Bien-Être Janette Bertrand : une surprise chargée de sens
Lorsque Marjolaine apprend qu’elle est finaliste pour le prix, elle tombe des nues.
C’est la directrice de Rêvanous qui l’a inscrite à son insu.
Elle y voit une triple reconnaissance :
- celle de Tel-Aide Montréal, qui met en lumière une cause souvent dans l’ombre;
- celle de la Vie, qui valorise des années engagement;
- et surtout, celle de Rêvanous, de son conseil d’administration et de ses intervenant·e·s.
À ses yeux, ce prix ne parle pas seulement d’elle. Il éclaire la déficience intellectuelle et l’autisme, leur réalité, leurs forces, et la nécessité d’un soutien adéquat et digne.
« Le choix fait par Tel-Aide via ma personne sort de l’ombre la déficience intellectuelle. Il la rend visible. »
Et puis, il y a la rencontre avec Janette Bertrand — un moment dont elle parle avec admiration.
Une femme qu’elle décrit comme « vibrante, vivante, brillante de cœur et d’esprit », une centenaire audacieuse qui a brisé des tabous et rappelé que le bien-être peut se vivre à tout âge.
Une vision engagée du bien-être et de l’inclusion
Pour Marjolaine, s’impliquer dans la promotion du bien-être et de l’inclusion est une nécessité humaine et sociale.
Elle parle avec franchise du parcours de combattant que représente l’accompagnement d’une personne DIL/TSA. Elle déplore les préjugés persistants, le regard souvent réducteur porté sur les limites plutôt que sur les qualités, la richesse intérieure et les forces réelles de ces personnes.
Ses mots sont forts, sans colère, mais avec une analyse franche :
- les institutions publiques manquent de vision;
- les réponses offertes sont morcelées;
- les organismes communautaires sont sous-financés malgré leur rôle essentiel;
- le risque d’itinérance pour les adultes DIL/TSA, lorsque les parents vieillissent, est bien réel.
Elle rêve d’un virage humain, durable, structuré.
D’une société qui investit là où le sens est.
D’une reconnaissance réelle du droit de chaque personne de vivre dans la dignité.
Message au public : ouvrir son cœur à la différence
Si Marjolaine avait un seul message à transmettre, il serait simple :
« Ouvrez votre cœur et votre esprit. Découvrez la richesse de la différence. »
Elle rappelle que les personnes DIL/TSA sont capables, authentiques, généreuses, persévérantes, affectueuses.
Qu’elles ont un rêve d’autonomie comme tout le monde.
Qu’elles peuvent être productives et contribuer à la société, si on leur offre le bon soutien.
Et elle ajoute, avec franchise :
« Qui n’a jamais besoin d’aide? »
Regard vers l’avenir : espérer, malgré tout
Quand on lui demande ce qu’elle souhaite pour les prochaines années, Marjolaine rêve d’un changement profond :
- moins de dépenses publiques inutiles;
- plus d’investissements dans le logement, l’itinérance, la pauvreté;
- des services de qualité pour les personnes handicapées;
- un soutien financier accru aux organismes qui bâtissent réellement l’inclusion;
- des projets de logements inclusifs mieux soutenus et plus nombreux;
- et la poursuite du développement de Rêvanous.
Son souhait tient presque du manifeste : que la société redonne du sens à l’humain.
Une lauréate qui incarne l’essence du bien-être mental
Honorer Marjolaine St-Jules, c’est honorer :
- la force tranquille des parents qui se battent pour l’autonomie de leurs enfants;
- la puissance d’une écoute qui soutient et élève;
- la conviction que chacun mérite de vivre pleinement, avec respect et dignité;
- et l’idée que le bien-être mental passe aussi par l’appartenance, l’inclusion et la présence humaine.
Tel-Aide Montréal est fier de célébrer une femme qui, depuis plus de deux décennies, ouvre la voie à un monde plus juste, plus doux, plus accessible — et profondément humain.